Après une gestion opaque de l’argent des réparations par le ministère des droits humains, un établissement public a été créé pour organiser le fonds d’indemnisation, rapporte le média français Le Monde.
En l’absence de cérémonie officielle, survivants et organisations de la société civile commémorent la « guerre de six jours » avec les moyens du bord. Le conflit, qui a dévasté Kisangani, a beau avoir laissé des traces durables dans les esprits et au cœur même de l’ancienne Stanleyville, il n’a pas été complètement soldé. Jeudi 8 juin, une conférence a réuni 200 personnes dans la cathédrale Notre-Dame du Très-Saint-Rosaire et un culte œcuménique a eu lieu ce samedi dans l’un des cimetières de la ville, mais les victimes attendent encore des réparations.
La guerre de six jours de Kisangani a été l’un des épisodes les plus sanglants de la deuxième guerre de la RDC entre 1998-2003. Du 5 au 10 juin 2000, armées rwandaise et ougandaise se sont affrontées en plein cœur de cette ville de la province de l’actuelle province de la Tshopo. Des combats intenses et ininterrompus, qui ont fait plus de 1 000 victimes civiles et plusieurs centaines de blessées. De nombreux bâtiments ont été détruits et la ville en porte encore les stigmates.
James Lotika Bangala, qui vit aujourd’hui à Kinshasa, la capitale congolaise, avait une vingtaine d’années à l’époque.
« La guerre a commencé un lundi, vers 9 h 45, Quand la première détonation s’est fait entendre, j’étais en classe. Le deuxième obus est tombé dans la cour. Il y avait du sang partout. J’ai reçu cinq éclats de bombe dans la jambe droite. Mon ami Francis Mambani est mort dans mes bras après avoir été touché à la tête. J’ai dû m’enfuir. Son corps gisait au sol », s’est-il souvenu.
Et d’ajouter :
« La ville était en feu. Ma fille aînée, alors âgée de 13 ans, a perdu la vie. J’ignore où elle a été enterrée parce que plusieurs personnes ont été portées dans des fosses communes. Certains cadavres se décomposaient dans les rues et ont été mangés par des chiens. Des femmes ont été violées. »
Vingt-trois ans après les faits, ni le Rwanda ni l’Ouganda n’ont présenté d’excuses. En février 2022, la Cour internationale de justice (CIJ) a condamné Kampala à verser 325 millions de dollars à la RDC pour les dommages causés lors de son intervention militaire entre 1998 et 2003. Une décision qui fait suite au jugement rendu par la même institution dix-sept ans plus tôt, établissant la responsabilité ougandaise. Le 1er septembre de chaque année jusqu’en 2026, le Trésor ougandais devra verser 65 millions de dollars à la RDC. Le Rwanda, lui, n’a pas été poursuivi, la cour s’étant déclaré incompétente.
Pour s’éviter des intérêts annuels de 6 %, Kampala a commencé à payer sa dette de guerre. Le premier versement a été effectué en septembre 2022. Mais les victimes n’en ont pas encore vu la couleur.
« Nous attendons notre indemnisation, mais cela ne nous arrive pas. Nous avons des regrets parce que certaines victimes meurent car elles n’ont pas la possibilité de se faire soigner. Veulent-elles [les autorités] détourner [l’argent] ? », déplorait en avril Katusi Etefa, vice-président de l’Association des victimes des guerres de Kisangani, sur les entennes de la radio locale Okapi.
Certains observateurs dénoncent l’opacité qui entoure la gestion de cet argent. « L’ancien ministre des droits humains, André Lite, est en procès pour mauvaise gestion des 500 000 dollars que le gouvernement avait mis à sa disposition en vue du dédommagement des premières victimes à Kisangani. Mais le reste de l’argent n’est pas détourné. Il y a beaucoup de conditions qui entourent son utilisation », assure Joseph Khasa Mabika, conseiller en justice transitionnelle au ministère des droits humains. Les membres du conseil d’administration de l’établissement public destiné à la gestion transparente des fonds n’ont été nommés que début mai par le président Félix Tshisekedi.
Le deuxième versement est attendu alors que le climat est tendu entre la RDC et l’Ouganda. Pourtant, à son arrivée au pouvoir en 2019, Félix Tshisekedi avait tenté de réchauffer les relations avec Yoweri Museveni. Les dirigeants s’étaient notamment entendus pour développer le réseau routier entre leurs deux pays. Cette initiative a été suivie par l’opération « Shujaa » (toujours en cours), une action militaire conjointe menée dès novembre 2021 par les armées congolaise et ougandaise contre les ADF, un groupe armé d’origine ougandaise affilié à l’organisation Etat islamique (EI) qui sévit dans l’est de la RDC.
Mais les relations entre les deux pays se sont détériorées après les soupçons de connivence entre l’Ouganda et les rebelles du M23, un groupe armé qui a gagné du terrain dans l’est de la RDC, avec le soutien du Rwanda.
« Aujourd’hui, les rapports sont assez complexes entre Kampala et Kinshasa. Certains observateurs pensent que l’Ouganda a laissé faire le M23. Pourtant, il y avait déjà cet accord de défense entre les deux pays. Comment un pays avec qui tu as signé ce genre d’accord peut fermer les yeux lorsqu’une offensive rebelle t’attaque ? », s’interroge Trésor Kibangula, de l’institut de recherche congolais Ebuteli.
Outre les dédommagements financiers, les survivants de la « guerre de six jours » espèrent aussi la condamnation des auteurs des crimes.
« Sans la justice, il n’y aura pas de vraie réparation. Il faut que les responsables soient sanctionnés et que les actes commis ne soient plus répétés », a fait entendre Dismas Kitenge, vice-président du Groupe Lotus qui a documenté le conflit.
Ben AKILI