Corneille Nangaa avait révélé, en Octobre 2023, l’existence présumée d’un accord politique entre le président congolais Félix Antoine Tshisekedi et son prédécesseur Joseph Kabila. Ses critiques sur la Commission Électorale Nationale Indépendante, son président et son fonctionnement n’auguraient pas pourtant les intentions belliqueuses contre le régime de Kinshasa nonobstant les sanctions occidentales à sa charge.
Corneille Nangaa Yobeluo, ainsi est-il appelé. Natif du Haut Uelé, à l’extrême nord-est de la République Démocratique du Congo, ce quinquagénaire est désormais à la tête d’un mouvement politico-militaire: l’Alliance Fleuve Congo.
Corneille Nangaa est l’ancien patron de la centrale électorale. En 2018, il organise un scrutin largement contesté qui hisse à la magistrature suprême Félix Antoine Tshisekedi au détriment des ses opposants principaux Martin Fayulu et Ramazani Shadary.
Avant le scrutin du 20 Décembre 2023, Corneille Nangaa a créé son propre parti politique, et annoncé sa candidature à la magistrature suprême. Désormais Président opposant politique de l’Action pour la Dignité du Congo et de son Peuple, (ADCP). Il quitte précipitamment le pays et fait des sorties médiatiques de grande ampleur critiquant le régime de Tshisekedi et évoquant l’impossibilité de la tenue des élections générales dans le délai constitutionnel.
Corneille Nangaa est un expert des questions electorales. L’ancien président de la CENI affirme également avoir été, aux côtés de plusieurs autres observateurs internationaux, témoin d’un accord politique entre le camp Félix Tshisekedi (Cap pour le Changement) et Joseph Kabila (Front Commun pour le Congo) sur la gestion des institutions nationales Congolaises.
Nangaa reste toutefois fois discret sur ses intentions de mener une campagne militaire contre le régime de Tshisekedi.
De la CENI au maquis, prêt à renverser Kinshasa!
« Pour la coordination de l’Alliance Fleuve Congo, nous avons ensemble fait le choix de Corneille Nangaa Yobeluo dont le degré d’engagement et de dévouement pour la cause de la Libération de notre pays ne donne lieu à aucun doute. C’est un compatriote révolutionnaire qui a choisi de tout abandonner pour se mettre totalement au service de la cause nationale », c’est en ces termes que le Mouvement du 23 Mars (M23) le présente dans son communiqué rendu public le 02 Janvier 2024.
Le groupe armé, soutenu selon les experts par Kigali, vient d’adhérer officiellement à l’Alliance lancé à Nairobi mi-octobre. L’alliance compte une dizaine des partis politiques et une centaines des personnalités non encore identifiées renseignent ses sources proches. Corneille Nangaa en est le Chef. Lors du lancement de l’alliance, le responsable militaire du M23 , Bertrand Bisimwa était dans la salle même de la conférence de presse.
Objectif, combattre Kinshasa et renverser le régime de Tshisekedi. Kinshasa saisi, il entre en colère contre Nairobi et convoque son ambassadeur mais le Président Kenyan, William Tuto, s’en dérobe et épingle «la liberté d’opinion et de la presse garantie» dans son pays.
Fin Décembre 2023, le président congolais vient d’être provisoirement réélu pour un nouveau quinquennat. La CENI l’a proclamé vainqueur le dimanche 31 décembre 2023 avec 73,34 % des suffrages exprimés largement en avance que son principal opposant, Moïse Katumbi, lui qui a en obtenu 18%.
Toutefois, suite à la résurgence depuis deux ans et la reconquête des plusieurs villages par le M23, Tshisekedi n’a pas été élu sur l’ensemble du territoire congolais. Certains villages des territoires de Masisi, Walikale, Rutshuru et Nyirangogo au Nord-Kivu sont encore sous occupation et n’ont pas participé au scrutin.
«Monsieur Tshisekedi n’aura donc aucune l’égalité, aucune légitimité dans les territoires libérés», lance dans le communiqué le président du M23.
Cet appel au boycott des résultats des élections du 20 Décembre est une accoutumance dans le chef des nouveaux alliés. Tous veulent chasser Tshisekedi du pouvoir par la force.
Leurs revendications ne sont pourtant pas les mêmes. Si d’une part le M23 réclame entre autres «la fin des hostilités contre les minorités tutsi, la fin de la coalition des Forces Armées de la RDC et les combattants des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda ainsi que la reconnaissance des [leur] droits tels que reconnus dans l’accord du 23 Mars», d’une autre part, Corneille Nangaa «semble régler des comptes à Tshisekedi après la saisie de ses carrières minières» par Kinshasa, indique un membre de la société civile de Rutshuru contacté par Surveillance.cd.
«L’adhesion du M23 au AFC de Corneille Nangaa n’étonne pas parceque c’est un gain stratégique au M23 et celà lui donne un peu de crédibilité. (…) Personne ne peut dire que Corneille Nangaa n’est pas congolais et ça leur donne un peu de vigueur et probablement un peu des millions des dollars que Corneille Nangaa a pu amener. De toute les façons malheureusement on sait que le vrai chef reste Kagame et les néocolonialistes et que l’erreur stratégique c’est la mauvaise classe politique congolaise qui ne semble pas avoir de boussole et qui n’apprend pas des erreurs du passé(…)», souligne le Professeur Docteur Daddy Saleh, expert en développement pour les pays du Sud.
À l’en croire, il est important de remonter à la genèse de cette crise sécuritaire notamment avec la prise de Kinshasa par l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) dont Joseph Kabila est l’héritier avec «un rôle prépondérant,car il est soit acteur, soit complice soit c’est lui qui veut que celà puisse finir(…)», ajoute le chercheur et de conclure que «pour en finir Félix Tshisekedi doit compter sur le leadership de toute la classe politique congolaise unie».
Tshisekedi, aussi prêt à réagir ?
À Kinshasa, rien n’échappe aux yeux et aux oreilles du président congolais et ses proches. La veille des élections, Félix Tshisekedi avait lancé d’un tôt sévère une mise en garde contre Corneille Nangaa et tous ses alliés.
« En cas de la moindre escarmouche des rigolos que vous avez vus à Nairobi, je vais réunir les deux chambres en congrès. Je vais demander l’autorisation de déclarer la guerre au Rwanda (…). Ce n’est pas une blague ! Si j’apprends qu’ils ont tiré seulement une balle, je vais réunir les deux chambres du parlement », avait déclaré Félix Tshisekedi lors d’une interview sur Top Congo FM le lundi 18 Octobre 2023.
Félix Antoine Tshisekedi a déjà installé «trois drones chinoises de haute portée à la frontière avec le Rwanda aux côtés des dizaines milliers des militaires nouvellement formés et bien équipés», nous confie un capitaine de l’armée de l’air rencontré à l’aéroport de Kisangani.
Des propos qui semblent n’avoir pas inquiété «le M23 soutenu par le Rwanda» et ses nouveaux alliés. Depuis ce jour-là, plusieurs villages sont tombés simultanément entre les mains de la rébellion et des milices pro gouvernementaux.
«J’encourage mon frère Corneille Nanga et toutes les forces politiques et militaires qui ont décidé de se battre contre le pyromane qui dirigeait le pays; continuons à conjuguer nos efforts pour libérer notre peuple», soutient John Numbi, ancien inspecteur de l’armée congolaise en exil.
Son message sur X est un énième après plusieurs autres qui appelaient à un coup de force contre Tshisekedi avant le scrutin du 20 Décembre dernier.
La guerre se poursuit et les populations civiles ne savent pas à quel saint se vouer. Des routes fermées, des taxes sur les marchandises et passagers fréquentant des routes parfois délabrées et sous contrôle des groupes armés, la famine et la vie chère sont devenues les quotidiens des habitants des zones sous «l’invasion rwandaise».
« Le billet par voiture de Goma à Butembo en passant par Kitshanga est aujourd’hui à 60 dollars. Avant la fermeture de cette route même avec 15 dollars on quittait Goma jusqu’à butembo et on faisait moins de 12 heures de route. Aujourd’hui, il faut 72 heures pour quitter Goma vers Butembo. La route nationale numéro 2 est la seule route Nationale au Nord-Kivu qui désenclave la province même l’Est de la RDC », nous confie Aimé Mbusa, habitant de Rutshuru.
Des images partagées par les communicateurs du M23, principal mouvement de l’Alliance; des témoignages des acteurs de la société civile et des sorties directes des personnes impliquées : la tension s’accentue entre les parties belligérantes malgré les appels à la fin des hostilités pour une solution pacifique et le déploiement des contingents de la Force de la Communauté des États de l’Afrique Australe, SADC.
Benjamin Sivanzire