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Comment encadrer les finances publiques en RDC?

L’histoire budgétaire de la République démocratique du Congo est marquée par des échecs retentissants dans la réalisation des projets publics. Chaque année, le budget de l’État alloue des sommes considérables à la construction d’infrastructures, à la réhabilitation d’hôpitaux, à l’aménagement de routes et à la modernisation des écoles. Pourtant, sur le terrain, les résultats sont souvent invisibles, partiels, ou tout simplement fictifs.

Trop de projets sont annoncés avec emphase, financés sur papier, mais ne dépassent jamais le stade de l’exécution concrète. Au final, les fonds sont dilapidés, les entreprises s’évaporent et l’État se retrouve sans infrastructure livrée ni argent récupérable.

Ce cycle infernal est rendu possible par un système de financement public défaillant, hérité de pratiques obsolètes, où l’État verse une avance importante dès la signature du contrat, sans garantie d’exécution effective. Ce mécanisme, censé faciliter le démarrage des travaux, est devenu l’un des canaux privilégiés du détournement de fonds.

Dans bien des cas, une entreprise obtient le marché, reçoit un acompte conséquent, livre quelques matériaux ou pose symboliquement une première pierre, avant de disparaître ou de bloquer le chantier en invoquant des difficultés techniques ou administratives.

Renverser la logique budgétaire

Face à cette situation, il devient impératif de rompre avec cette logique inefficace et de revoir en profondeur le mode de financement des projets publics en RDC. Le pays doit s’engager dans une voie de responsabilisation contractuelle, de vérification systématique de la performance et de sécurisation mutuelle entre l’État et les opérateurs.

Il ne suffit plus de signer des contrats en espérant le respect des engagements : il faut créer des incitations claires et des garde-fous solides.

La première étape d’une telle réforme consiste à inverser la logique actuelle : l’argent public ne doit plus précéder la réalisation des travaux, mais en être la conséquence. Concrètement, un opérateur économique qui remporte un marché public ne pourra prétendre à un décaissement qu’après avoir exécuté, à ses propres frais, une part significative du projet (par exemple, 20 à 30 %).

Cette réalisation anticipée devra bien sûr être vérifiée par un organe technique indépendant, mandaté pour certifier l’état d’avancement des travaux sur la base de critères objectifs et mesurables.

Garantir les droits des prestataires

Ce filtre dissuasif éliminerait naturellement les entreprises fantômes, les prestataires politiquement adoubés mais techniquement incapables, ainsi que les chasseurs d’avances budgétaires sans projet réel.

Cependant, cette réforme ne doit pas exposer les opérateurs honnêtes à une insécurité contractuelle. Dans le contexte congolais, il est courant que l’État lui-même soit défaillant : promesses non tenues, engagements non respectés, paiements retardés ou bloqués pour des raisons arbitraires, voire détournements organisés au sommet de l’administration.

Il est donc essentiel de concevoir un mécanisme qui sécurise à la fois les finances publiques et les droits des prestataires.

Pour cela, il est nécessaire de mettre en place un compte séquestre dédié, ouvert dès la signature du contrat, dans une institution financière agréée ou auprès de la Banque Centrale.

Un mécanisme pour responsabiliser tous les acteurs ?

Ce compte, alimenté à hauteur du montant total du marché public, est juridiquement verrouillé : les fonds sont bloqués, affectés exclusivement à l’exécution du projet, et ne peuvent être ni retirés ni redéployés par l’État.

La gestion de ce compte est confiée à un comité tripartite, composé d’un représentant de l’administration publique, d’un représentant de l’entreprise adjudicataire et d’un tiers neutre (auditeur indépendant, magistrat financier, organe de contrôle tel que l’IGF ou la Cour des Comptes). Ce comité supervise les décaissements, qui ne sont effectués qu’en fonction de jalons techniques clairement définis dans le contrat.

À chaque étape atteinte, une validation formelle déclenche un paiement partiel correspondant. Ce système, basé sur le principe de libération par jalons (milestone-based disbursement), garantit à l’entreprise que les fonds sont disponibles et libérables lorsqu’elle respecte ses engagements contractuels, et assure à l’État que chaque franc dépensé correspond à une avancée réelle sur le terrain.

L’impact pour la gouvernance publique

Ce mécanisme, fondé sur la preuve plutôt que sur la promesse, doit désormais devenir la règle générale en matière de financement des projets publics. Il ne s’agit pas d’une option ou d’une expérimentation marginale, mais d’un standard de bonne gouvernance à inscrire dans le droit positif, afin d’en faire une exigence obligatoire pour toute dépense d’investissement de l’État.

Seule une application systématique de ce modèle permettra d’ancrer durablement une culture de la responsabilité et de mettre fin aux dérives structurelles qui gangrènent la dépense publique en RDC.

L’impact d’un tel dispositif serait considérable. D’abord, il mettrait fin à la prolifération des projets fantômes, car seuls les projets pouvant mobiliser une exécution initiale réelle seraient éligibles au financement public.

Ensuite, il assainirait le portefeuille de la commande publique, en écartant les prestataires opportunistes au profit des entreprises solides, compétentes et crédibles.

Et si le salut venait des règles, non des hommes ?

De plus, il établirait un mécanisme de dissuasion naturelle contre le détournement, puisqu’aucun paiement ne serait effectué sans preuve concrète d’exécution. En parallèle, il améliorerait considérablement l’efficacité budgétaire, en permettant à l’État de n’engager ses ressources que là où elles produisent un impact réel.

Ce système favoriserait aussi une saine concurrence, redonnant un avantage aux opérateurs honnêtes face aux réseaux mafieux. Enfin, il renforcerait la crédibilité de l’État congolais auprès de ses citoyens, de ses partenaires et des bailleurs internationaux, qui y verraient un signe de volonté de réforme réelle, mesurable et durable.

Ainsi, cette réforme du financement public ne doit pas être perçue comme une simple innovation technique, mais comme un pilier fondamental d’une nouvelle gouvernance en RDC. Il ne s’agit pas seulement de revoir quelques procédures, mais d’imposer une nouvelle culture : celle où les engagements doivent être vérifiés, où l’argent public est sanctuarisé et où l’efficacité est récompensée.

Le développement du Congo ne viendra pas de discours inspirants ou de promesses électorales, mais d’un État qui contractualise la rigueur, institutionnalise la transparence et garantit que chaque centime public produit une infrastructure tangible. Il ne s’agit pas de complexifier les procédures, mais de discipliner les pratiques. Il ne s’agit pas de se méfier de tous, mais de garantir l’intérêt public. Et surtout, il ne s’agit pas seulement de changer les hommes, mais de changer les règles du jeu. Car à long terme, seuls les systèmes sauvent les nations et non les hommes « providentiels ».

B.A

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