Une enquête citoyenne révèle un système de corruption généralisé dans l’exploitation des ressources minières du Lualaba. Un scandale économique d’envergure, aux conséquences alarmantes pour la population.
Un pillage organisé dans l’ombre des mines
Une bombe judiciaire secoue la province du Lualaba. Une plainte déposée le 26 novembre 2024 auprès du Procureur général près la Cour d’appel lève le voile sur un réseau de fraude minière systémique, qui ferait perdre chaque année près de 79,2 millions de dollars à la province. Ce chiffre, vertigineux, résulte d’un détournement bien orchestré, selon les accusations portées par l’organisation citoyenne « 123 ».
Dans le document intitulé « Plainte/dénonciation pour fraude et exploitation illicite des substances minérales », l’ONG détaille les mécanismes utilisés pour contourner la fiscalité minière. Le cœur du système repose sur la manipulation des licences d’exploitation : des coopératives déclarent faussement des activités artisanales alors qu’elles opèrent à échelle semi-industrielle, voire industrielle.
« Ce camouflage permet à ces structures d’éviter les taxes plus lourdes imposées aux grandes exploitations », dénonce l’Association 123. Ces pratiques priveraient l’État de revenus cruciaux, en dépit d’un secteur censé générer de vastes bénéfices pour la province.
Un manque à gagner colossal et traçable
La Direction des Recettes du Lualaba (DRLU) illustre l’ampleur de la perte. Elle devrait, en principe, percevoir 150 dollars par jour pour chaque camion transportant des minerais. En se basant sur une estimation de 1 000 camions par jour, cela représente 4,5 millions de dollars par mois, soit 54 millions de dollars par an.
Pourtant, ces recettes ne seraient ni collectées de manière transparente ni reversées aux caisses publiques. « Il y a une disparition organisée de ces montants, sans aucune traçabilité », affirme l’association plaignante. Et la DRLU n’est pas la seule structure mise en cause.
Le Centre d’Expertise, d’Évaluation et de Certification (CEEC), pourtant censé encadrer techniquement l’exploitation, prélèverait 30 dollars par camion et par jour, sans que cela repose sur une base légale claire. Ces sommes s’élèveraient à 10,8 millions de dollars par an, dont l’usage reste flou.
Multiples institutions impliquées
Le SAEMAPE, chargé de superviser l’exploitation artisanale, perçoit 20 dollars quotidiennement par camion, pour un total estimé de 7,2 millions de dollars annuels. Le Centre de Gestion Agréé (CGA), lui, s’arrogerait 3,6 millions de dollars chaque année. Même la police des mines figure dans cette chaîne de prélèvements non réglementés, encaissant également 10 dollars par camion et par jour.
« Ce n’est plus de l’irrégularité, c’est une architecture parallèle de collecte de fonds, sans contrôle ni reddition de comptes », s’insurge l’Association 123. Tous ces montants, additionnés, dressent un tableau d’un État affaibli, infiltré par des intérêts privés agissant à l’abri de toute inspection.
Derrière cette fraude massive, les dénonciateurs pointent une responsabilité politique. La famille de la gouverneure actuelle, Fifi Masuka, est nommément citée comme acteur central du système. Elle est soupçonnée d’avoir « couvert ces manœuvres pendant plus de trois ans », selon la plainte.
Un système bien huilé, une province appauvrie
Lualaba, malgré ses immenses richesses en cobalt et en cuivre, figure parmi les provinces les plus pauvres du pays. L’ironie est amère : les minerais partent chaque jour vers l’étranger, pendant que les habitants manquent d’infrastructures de base, d’eau potable ou d’électricité, alertent les dénonciateurs.
Pour l’Association 123, ce contraste est le reflet d’une gouvernance opaque. « On ne peut pas continuer à exporter des milliards en minerais et importer la misère », martèle l’ONG dans son document. Le système en place serait un « désordre bien organisé », conçu pour enrichir une poignée d’individus au détriment de l’ensemble de la population.
Le scandale résonne d’autant plus fort que les prélèvements opérés par les structures en question ne sont ni reversés au Trésor public ni audités par des instances indépendantes. L’argent s’évapore dans des circuits parallèles, alimentant des fortunes personnelles pendant que l’État congolais perd des ressources vitales.
Des conséquences judiciaires attendues
Face à ce qu’elle qualifie de « saignée économique », l’Association 123 appelle à une action rapide de la justice. Elle demande «l’ouverture immédiate d’enquêtes judiciaires pour établir les responsabilités, identifier les bénéficiaires de cette fraude et rétablir l’autorité de l’État».
Cette demande intervient dans un contexte de pressions sociales croissantes. Les populations locales, conscientes des promesses non tenues par les autorités, pourraient réagir fortement à ces révélations. Déjà, des voix s’élèvent pour réclamer la suspension des responsables incriminés.
À trois ans d’un système frauduleux présumé, les observateurs estiment que l’inaction ne serait plus acceptable. « Si la justice ne réagit pas, ce sera un signal de complaisance donné à tous les fraudeurs du pays »,.
Un tournant pour la gouvernance minière ?
Ce scandale, s’il est traité avec rigueur, pourrait constituer un tournant dans la gestion du secteur minier en République démocratique du Congo. Plusieurs ONG réclament déjà une refonte complète du système de traçabilité et de fiscalité minière, ainsi qu’un audit indépendant des recettes perçues par les entités locales.
En toile de fond, ce sont les principes de transparence, de justice économique et de bonne gouvernance qui sont en jeu. La province du Lualaba n’est sans doute pas un cas isolé. D’autres régions riches en ressources minières pourraient, elles aussi, être concernées par des pratiques similaires.
La rédaction