Le retrait annoncé du Rwanda de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) marque un tournant dans les rapports de force régionaux. Officiellement, Kigali dénonce une « instrumentalisation » de l’organisation sous l’influence de Kinshasa et Bujumbura. Cette décision serait le fruit de l’efficacité d’un front commun mené par le président congolais Félix Tshisekedi et son allié burundais Évariste Ndayishimiye.
La CEEAC, longtemps perçue comme une plateforme économique avant tout, se trouve aujourd’hui au cœur d’un bras de fer politique. Le Rwanda, qui devait prendre la présidence tournante de l’organisation, a vu sa candidature contestée fermement par la République démocratique du Congo (RDC) et le Burundi. Une opposition suffisamment ferme pour faire reculer Kigali, qui a préféré claquer la porte plutôt que de voir son leadership contesté.
Le duo Tshisekedi-Ndayishimiye a donc remporté un bras de fer diplomatique de premier ordre. La RDC, qui avait menacé de quitter l’organisation si le Rwanda accédait à sa présidence, a réussi à mobiliser un rapport de force en sa faveur, quitte à accentuer les tensions régionales. Pour Kinshasa, il s’agissait d’un enjeu stratégique majeur : empêcher un rival accusé de soutenir des groupes armés à l’Est du Congo d’endosser un rôle de coordination politique et économique au sein de la région.
Le Burundi, quant à lui, garde une relation historiquement tendue avec le régime de Paul Kagame. En s’alliant à Kinshasa, Évariste Ndayishimiye a consolidé une ligne de fracture déjà visible, tout en s’érigeant en partenaire fiable de la RDC dans les arènes diplomatiques régionales. Ensemble, les deux pays ont affiché une solidarité rare dans une région souvent morcelée par les intérêts nationaux divergents.
Au-delà du simple rapport de force, c’est une recomposition géopolitique qui se dessine. En fragilisant l’influence du Rwanda dans la CEEAC, la RDC tente de redéfinir les équilibres régionaux. Tshisekedi ne cache pas son ambition de repositionner son pays comme un acteur central de la stabilité en Afrique centrale, en rupture avec des décennies d’effacement diplomatique.
Le retrait du Rwanda peut être lu comme un aveu d’échec sur le plan diplomatique. Mais il pourrait aussi ouvrir la voie à une polarisation accrue. Kigali pourrait chercher à renforcer ses alliances hors de la CEEAC, notamment avec des États d’Afrique de l’Est ou via des plateformes sécuritaires alternatives. Cette rupture traduit l’impossibilité, au moins à court terme, de concilier les agendas politiques au sein de l’organisation.
La CEEAC elle-même ressort affaiblie de cette crise. L’impossibilité de gérer une transition à la présidence sans conflit manifeste un déficit structurel de gouvernance. Elle interroge aussi sur la capacité des institutions régionales africaines à transcender les rivalités bilatérales et à préserver une forme de neutralité dans leur fonctionnement.
Pour Tshisekedi, ce succès s’inscrit dans une stratégie plus large de consolidation de son image de leader régional. À quelques mois d’échéances diplomatiques importantes, le président congolais peut se prévaloir d’avoir tenu tête à Kigali, un acte valorisé dans un contexte de crise sécuritaire persistante à l’Est de son pays.
Ndayishimiye, pour sa part, renforce son poids politique à travers cette alliance. En soutenant la RDC, il s’offre un rôle de faiseur d’équilibres dans une région où le Burundi cherche encore à se redéployer après des années d’isolement diplomatique.
CKK