La composition du nouveau gouvernement congolais acte une reprise en par la Présidence de l’exécutif, en écartant les ministres touchés par des soupçons de corruption ou en échec sur les dossiers sécuritaires.
Attendue depuis la réélection de Félix Tshisekedi en décembre 2023, la composition du nouveau gouvernement a été annoncée au milieu de la nuit, ce mercredi… à 2h00 du matin. Un timing nocturne souvent utilisé pour les grandes annonces en République démocratique du Congo (RDC) dont on peine toujours à en comprendre l’intérêt, alors que la majorité des Congolais sont dans leur lit. Accouché dans la douleur et après de multiples tractations et allers-retours entre la Première ministre Judith Suminwa et la Présidence, le nouveau gouvernement du second mandat de Félix Tshisekedi est enfin arrivé. Il aura fallu presque deux mois pour accorder les violons au sein de la majorité présidentielle pour présenter une liste de ministres qui fasse consensus, du moins sur le papier. Le premier constat est que le gouvernement resserré promis par la Première ministre n’est pas au rendez-vous. Le nouvel exécutif compte 54 membres, contre 57 pour le précédent gouvernement. Les attentes en matière de réduction du train de vie de l’Etat seront donc difficiles à tenir. Ce qui n’est pas vraiment une surprise puisque la composition du nouvel exécutif congolais est le résultat d’un subtil partage des postes entre les multiples composantes de l’Union sacrée.
Le grand argentier écarté
Ce nouveau gouvernement acte des départs majeurs à des ministères-clés. Tout d’abord celui de Nicolas Kazadi, qui est débarqué du ministère des Finances. Puissant argentier de Félix Tshisekedi, que l’on comparait à un Premier ministre-bis, Nicolas Kazadi a permis de renflouer les caisses de l’Etat et d’en augmenter sensiblement le budget. Mais les soupçons de détournements d’argent public dans une affaire de la surfacturation de forages et de lampadaires ont scellé son destin et poussé Félix Tshisekedi à l’écarter de la nouvelle équipe gouvernementale. La justice a demandé la levée de son immunité parlementaire pour pouvoir l’entendre, et la décision en reviendra au nouveau président de l’Assemblée, Vital Kamerhe. Ironie du sort, Nicolas Kazadi avait témoigné à charge contre Vital Kamerhe lors du procès du programme des 100 jours. L’arbitrage est très attendu.
Peter Kazadi et Christophe Luntudula out
Peter Kazadi, ministre de l’Intérieur, un autre poids lourd, quitte le gouvernement. C’est une surprise. Certains y voit sa possible responsabilité dans les défaillances du système sécuritaire lors de la tentative ratée de coup d’Etat du 19 mai. Autre départ notable : celui du ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, qui comme Nicolas Kazadi, est un proche de Félix Tshisekedi. Dans ce changement, on peut y voir les échecs du gouvernement dans la guerre avec le M23 soutenu par le Rwanda. Les deux initiatives diplomatiques de Luanda et Nairobi sont au point mort, même si les contacts entre Kinshasa et Kigali ne se sont jamais interrompus. Son remplacement par Thérèse Kayikwamba Wagner, avec un profil moins politique, signe une reprise en main du dossier diplomatique par la Présidence.
Bemba rétrogradé
Dans le conflit à l’Est, dont Kinshasa n’arrive pas à venir à bout, le débarquement de Jean-Pierre Bemba à la Défense constitue également un signal fort. Politiquement, il s’agit clairement d’une sanction pour le patron du MLC. En échec sur le front militaire, Jean-Pierre Bemba n’a pas réussi à inverser la tendance. Les rebelles ont régulièrement avancé leurs positions jusqu’à encercler la capitale régionale, Goma, alors que l’armée congolaise se contente d’envoyer en première ligne les milices Wazalendo pour contrer le M23. Sur le plan politique, le rétrogradage de Jean-Pierre Bemba, qui occupera le poste des Transports, permet tout de même de conserver l’imprévisible chef du MLC au sein de la majorité, surtout lorsque l’on connait les ambitions présidentielles du chairman. Jean-Pierre Bemba reste tout de même vice-premier ministre et numéro 2 du gouvernement. Félix Tshisekedi conserve également une cadre importante du MLC, Eve Bazaïba à l’Environnement. Un autre gage de bonne volonté pour le camp Bemba. Enfin, mauvaises nouvelles pour les ex-kabilistes du FCC devenus pro-Tshisekedi en rejoignant l’Union sacrée, comme Lambert Mende, ou Justin Bitakwira. Aucun n’obtiendra de maroquin.
La surprise Constant Mutamba
Autre débarquement notable, celui du ministre de l’Enseignement, Tony Kazadi. Ses déboires avec l’Inspection générale des Finances (IGF), qui avait débusqué de possibles détournements de fonds, et ses attaques contre le patron de l’IGF, Jules Alingete, ont fini par lasser la Présidence. Une rétrogradation est également à noter : celle du ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu, qui prend la tête du ministère, bien moins stratégique, des Sports. On se souvient de la polémique qui avait alimenté ses prises de position pendant la pénurie de carburant en 2023. Parmi les entrants, la vraie surprise vient de la nomination de Constant Mutamba à la Justice, en remplacement de Rose Mutombo, qui n’avait pas particulièrement brillé à ce poste. Au point que Félix Tshisekedi avait affirmé, en février 2023, que la justice congolaise était « malade ». Constant Mutamba vient de l’opposition et briguait même le poste qui revenait aux opposants à la chambre basse du Parlement. Avocat de formation, Constant Mutamba faisait régulièrement des appels du pied à Félix Tshisekedi, ce qui laissait planer des doutes sur son réel positionnement d’opposant. En termes d’image, sa nomination permet au gouvernement d’annoncer « un opposant au pouvoir ».
Shabani et Nyembo, les hommes de confiance
De nouvelles têtes font leur apparition au sein du gouvernement de Judith Suminwa. Il y a tout d’abord celle de Jacquemain Shabani, ancien secrétaire général de l’UDPS entre 2011 et 2012 et conseiller spécial du chef de l’État chargé du processus électoral. Cet avocat, très proche de Tshisekedi, prend le poste de ministre de l’Intérieur. On y voit là encore les conséquences de la tentative de coup d’Etat manquée du 19 mai. Jacquemain Shabani devra sans doute faire un sérieux ménage dans l’appareil sécuritaire. Et pour cela, il faut un homme de confiance. Le directeur de cabinet du chef de l’Etat, un très proche également, Guylain Nyembo, est nommé ministre du Plan. Un poste occupé jusque-là par la nouvelle Première ministre. Quelques valeurs sûres restent en poste. On peut citer le très actif ministre de la Communication et porte-parole, Patrick Muyaya. Le ministre a su renouveler le genre, notamment avec des conférences de presse régulières. Augustin Kibassa demeure au ministère des Télécoms. Jean-Pierre Lihau, que l’on donnait un temps pour la Primature, conserve la Fonction publique. Au total, 23 membres de l’ancien gouvernement Sama Lukonde rempilent, comme Guy Loando à l’Aménagement du territoire, ou encore Aimé Boji au Budget.
La Présidence reprend du poids
Le grand chambardement gouvernemental n’aura finalement pas eu lieu pour lancer le second mandat de Félix Tshisekedi. Le chef de l’Etat resserre les rangs autour de proches, notamment dans le domaine sécuritaire et injecte un peu de sang neuf au sein de l’exécutif. Le président s’est astreint à conserver un fragile équilibre entre les différentes forces politiques de l’Union sacrée, en tenant compte de l’arrivée de Vital Kamerhe à la tête de l’Assemblée nationale, ce qui rebat les cartes sur l’échiquier politique. La question est maintenant de savoir si la nouvelle Première ministre, Judith Suminwa, aura les marges de manoeuvre suffisantes pour imposer son style et sa politique. La Présidence semble avoir repris du poids dans l’exécutif, en nommant des proches collaborateurs de Félix Tshisekedi à des postes-clés. La longue attente pour la sortie de ce nouveau gouvernement reste un signal inquiétant pour le chef de l’Etat qui peine à s’imposer. Certains y voient encore un manque de verticalité et d’autorité avec ses partenaires de l’Union sacrée. Au risque de devenir otage de ses propres troupes. Reste que les défis pour la Première ministre sont immenses. Avec trois priorités : ramener la paix à l’Est, lutter contre la chute du franc congolais et améliorer la vie des Congolais.