Le Sénat de la République démocratique du Congo s’apprête à examiner, ce jeudi 15 mai, le réquisitoire de l’auditeur général des FARDC visant la levée des immunités parlementaires du sénateur à vie et ancien président de la République, Joseph Kabila. Une procédure inédite qui polarise la scène politique nationale.
Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a donné injonction à l’auditeur général des armées d’initier cette démarche, sur fond d’accusations lourdes. « Joseph Kabila est cité pour trahison, crimes de guerre et crimes contre l’humanité », avait précisé le ministre, qui affirmait disposer d’un « maximum de preuves » établissant l’implication de l’ancien chef de l’État dans la rébellion du M23, soutenue selon Kinshasa par le Rwanda.
Une annonce accueillie avec prudence dans les milieux juridiques. Maître Jean-Claude Katende, président de l’ASADHO, avertit :
« En RDC, un ancien président ne peut être poursuivi qu’avec l’autorisation des deux tiers du Congrès. Contourner cette procédure revient à violer la loi et menace l’État de droit. »
Même son de cloche du côté de l’opposition. Seth Kikuni, ancien candidat à la présidence, dénonce des manœuvres politiciennes :
« Ces poursuites relèvent clairement d’une tentative d’intimidation. Le titre de sénateur à vie est honorifique et n’autorise pas à ignorer les garanties légales prévues pour les anciens chefs d’État. »
Le Front Commun pour le Congo (FCC), famille politique de Joseph Kabila, a immédiatement réagi par la voix de Raymond Tshibanda. Dans un communiqué, il fustige une « tentative de violation flagrante de la Constitution » orchestrée par un « pouvoir dictatorial ». Le FCC rappelle que le statut de sénateur à vie de Joseph Kabila est « inaliénable, imprescriptible et non justiciable sans le respect strict des procédures légales. »
Face aux critiques, le président du Sénat, Sama Lukonde, a tenu à rassurer sur la régularité de la démarche. « Le Sénat examinera la requête conformément à la Constitution et au règlement intérieur », a-t-il déclaré lors de la plénière du 2 mai dernier.
Ce feuilleton politico-judiciaire survient dans un contexte particulièrement tendu. La RDC est confrontée à une crise sécuritaire dans l’Est du pays, où les combats avec la rébellion du M23 alimentent les tensions régionales. Pour Kinshasa, traquer les « complices » de cette guerre fait désormais partie de sa stratégie de défense nationale.
Mais certains analystes y voient une dérive potentielle. « Si les institutions judiciaires deviennent des instruments de règlement de comptes, c’est la cohésion nationale qui est en péril », prévient un professeur de droit de l’Université de Lubumbashi sous couvert d’anonymat.
Alors que le gouvernement vient également de saisir le parquet pour obtenir la dissolution du PPRD, parti fondé par Kabila, la question dépasse la simple levée d’immunité. C’est l’équilibre des institutions et le respect des mécanismes démocratiques qui sont mis à l’épreuve dans cette nouvelle séquence politique.
CKK