L’État congolais durcit le ton. Face à un discours sécuritaire usé jusqu’à la corde depuis trois décennies, la République démocratique du Congo affirme aujourd’hui sa volonté d’en finir avec le prétexte récurrent de la présence des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dans l’Est du pays. Un message clair, direct et assumé, porté par la ministre des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, lors du briefing co-animé jeudi avec son collègue de la Communication et des Médias, Patrick Muyaya.
« Cela fait près de 30 ans que ce prétexte est recyclé et réchauffé sous toutes les formes. Eh bien justement, nous voulons y mettre fin une bonne fois pour toutes », a déclaré la cheffe de la diplomatie congolaise.
Ce changement de ton intervient dans un contexte de tension croissante dans la région des Grands Lacs, marqué par une recrudescence des affrontements, une pression internationale croissante et la nécessité pour Kinshasa de reprendre la main sur sa souveraineté narrative.
Depuis les années 1990, la présence supposée ou réelle des FDLR, des ex-rebelles hutu rwandais accusés d’avoir participé au génocide de 1994 et qui se sont réfugiés à l’Est de la RDC a régulièrement servi de justification aux interventions militaires étrangères, principalement rwandaises, sur le territoire congolais. Cette rhétorique a été utilisée par Kigali pour légitimer ses incursions et appuyer des groupes armés tels que le M23, officiellement pour « neutraliser une menace ».
Mais pour Kinshasa, ce discours ne tient plus. «Nous avons un accord qui prévoit dans son CONOPS [concept d’opérations] des étapes très claires et bien définies sur la manière de mettre fin à cette menace, et surtout à cet alibi », explique Mme Kayikwamba.
Le tournant stratégique proposé par le gouvernement congolais s’appuie désormais sur une approche méthodique, fondée sur des faits et des évaluations concrètes. Finies les campagnes militaires improvisées, sans objectifs clairs ni mesures d’impact. Désormais, les autorités insistent sur la nécessité de quantifier et d’objectiver cette menace : « Pour y mettre fin, nous devons savoir combien ils sont, quelle est leur localisation exacte, et quelle est la menace qu’ils représentent réellement. »
Un mécanisme conjoint de sécurité déjà évoqué dans l’accord en question sera mis en place pour évaluer cette présence. Il s’agira d’un outil technique, indépendant, permettant de cartographier les foyers réels d’insécurité attribués aux FDLR, et de séparer les faits des interprétations politiques.
L’initiative de Kinshasa vise également à désamorcer un discours régional devenu contre-productif. Pour de nombreux analystes, les FDLR sont aujourd’hui un prétexte diplomatique instrumentalisé, plus qu’un véritable danger.
«L’avantage ici, c’est que nous prenons cette question qui a été utilisée pendant plusieurs années, et nous disons : si c’est un problème réel, alors apportons-y une solution réelle. Sinon, que l’on cesse de s’en servir comme alibi», résume la ministre.
En d’autres termes, il ne s’agit pas de nier la présence des FDLR, mais de mettre fin à leur utilisation stratégique par certains États ou groupes armés pour justifier des actions qui violent la souveraineté territoriale de la RDC.

Le ton ferme adopté par Kinshasa s’adresse aussi à ses partenaires internationaux, qui ont souvent entretenu une certaine ambivalence sur la question. En soutenant une neutralisation théorique des FDLR sans en vérifier la consistance, plusieurs chancelleries ont, volontairement ou non, contribué au maintien de ce brouillard stratégique dans la région.
« On ne peut pas lancer des opérations de neutralisation sans point de départ ni objectif clair », martèle la cheffe de la diplomatie congolaise. Cette nouvelle posture vise à clarifier les rôles, à instaurer des mécanismes de transparence, et à responsabiliser chaque acteur.
À travers ce processus, la RDC cherche à tourner la page d’un cycle de manipulation régionale qui, sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou les groupes armés, a permis des violations répétées de sa souveraineté, le pillage de ses ressources, et la perpétuation d’un climat d’instabilité chronique dans sa partie orientale.
« L’alibi des FDLR doit cesser. Et c’est nous qui allons y mettre fin », conclut Thérèse Kayikwamba Wagner, déterminée à inscrire ce combat au cœur d’un nouvel agenda régional.
Ben AKILI