La Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo rendra son verdict ce mercredi 14 mai dans l’affaire emblématique du détournement présumé de fonds liés au projet agro-industriel de Bukanga-Lonzo. Un jugement très attendu, dans un climat tendu entre institutions et marqué par des accusations d’instrumentalisation de la justice.
Trois figures majeures sont dans le viseur de la haute juridiction : l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, l’ex-gouverneur de la Banque Centrale du Congo Déogratias Mutombo, et l’homme d’affaires sud-africain Christo Grobler. Ils sont accusés d’avoir détourné plus de 285 millions de dollars américains destinés à ce projet phare de développement agricole.
Lors de l’audience du 23 avril dernier, le procureur général près la Cour constitutionnelle avait requis 10 ans de travaux forcés et de servitude pénale contre les trois prévenus, assortis de 10 ans d’inéligibilité pour Matata Ponyo, 5 ans pour Mutombo, ainsi que l’expulsion définitive du territoire congolais pour Christo Grobler.
Mais au-delà du dossier financier, c’est la dimension politique du procès qui fait débat. Le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a ouvertement contesté la légalité de la procédure, rappelant que Matata Ponyo bénéficie encore de l’immunité parlementaire en tant que sénateur. « Un député national ne peut être poursuivi qu’après la levée de ses immunités parlementaires », a-t-il insisté, appelant le président de la Cour constitutionnelle, Dieudonné Kamuleta, à respecter les procédures légales. « Rien n’a été fait en ce sens », déplore-t-il.
De son côté, l’ancien Premier ministre crie à l’acharnement politique. « Cette justice est instrumentalisée par le régime en place », a déclaré Matata Ponyo, dénonçant une cabale montée contre lui pour avoir refusé de rejoindre l’Union sacrée, la plateforme politique du président Félix Tshisekedi. Selon lui, cette affaire judiciaire n’est qu’un écran pour l’écarter de la scène politique.
Malgré les protestations du bureau de l’Assemblée nationale, la Cour semble déterminée à trancher. Le verdict de ce mercredi s’annonce donc comme un test majeur pour l’indépendance de la justice congolaise, mais aussi un révélateur des tensions institutionnelles croissantes entre pouvoir judiciaire et législatif.
Le procès Bukanga-Lonzo, devenu symbole des dérives de la gestion publique, pourrait aussi marquer un tournant dans la lutte contre l’impunité des hauts responsables. Mais pour beaucoup d’observateurs, le caractère sélectif des poursuites soulève des interrogations. « Pourquoi Matata et pas d’autres anciens premiers ministres ? », s’interroge un analyste politique local.
En attendant la décision de la Cour constitutionnelle, l’opinion nationale reste suspendue à ce procès emblématique, dans un pays où la justice est encore trop souvent perçue comme un instrument au service des rapports de force politiques.
CKK