La récente audition du ministre d’État en charge de la Justice, Constant Mutamba, devant la Commission spéciale de l’Assemblée nationale, a mis en lumière une série de tensions institutionnelles qui soulèvent davantage de questions sur l’équilibre du pouvoir au sein de l’exécutif que sur le fonctionnement même de la justice. Loin d’être un simple échange technique, l’exercice a révélé les fractures internes au sommet de l’État.
Dès l’ouverture de son intervention, Constant Mutamba a insisté sur le climat conflictuel dans lequel il a pris ses fonctions. « À titre liminaire, il a rappelé le contexte de son arrivée à ce poste, marqué par un climat de travail conflictuel, tant au sein du gouvernement qu’avec les animateurs du pouvoir judiciaire, notamment le procureur général près la Cour de cassation. » Une entrée en matière qui plante le décor d’une guerre de positions plus politique que judiciaire.
Le ministre d’État ne s’est pas contenté de dresser un constat ; il a ouvertement dénoncé un recul de ses prérogatives. « Il a révélé que la cheffe du gouvernement lui a retiré la présidence de la Commission des lois — traditionnellement dévolue au ministère de la Justice — pour la confier au vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur, de la Décentralisation et des Affaires coutumières. » Un déplacement d’autorité vécu comme une « défiance institutionnelle ».
Au fil de l’audition, Mutamba a détaillé son sentiment d’être progressivement mis à l’écart des circuits décisionnels. Il évoque notamment une réunion entre la Première ministre et un membre du Conseil supérieur de la magistrature à laquelle il n’a pas été convié : « Il a indiqué que la Première ministre a reçu un membre du Conseil supérieur de la magistrature sans l’y associer. » Ce geste, perçu comme une marginalisation, a nourri une ambiance de méfiance et d’incompréhensions.
La tension a été exacerbée lors d’un événement public, où une réaction mal interprétée de la Première ministre a envenimé les choses. « C’est dans ce contexte difficile que, lors d’une journée de sensibilisation de la jeunesse à la lutte contre la corruption — je cite Solo ya détournement — la Première ministre a réagi à chaud à des propos qu’elle aurait mal compris. » Un épisode révélateur de l’état de fragilité du dialogue entre les institutions.
Autre front de conflit : les relations entre le ministre de la Justice et le procureur général près la Cour de cassation. « Le ministre d’État a confié à la Commission que ses rapports avec le procureur général n’ont jamais été propices à une collaboration professionnelle sereine, au service de l’intérêt général. » À ses yeux, ces tensions relèveraient d’« intérêts occultes » et non de simples divergences d’approche.
Mutamba pointe également du doigt les résistances que rencontrent ses tentatives de réformer la justice. « Cette situation conflictuelle est alimentée par la contestation systématique des initiatives de réforme menées par son ministère, qui mettent manifestement à mal les intérêts économiques illicites et les réseaux mafieux gangrenant le secteur de la justice. » Un constat qui fait écho à une volonté de réforme, mais aussi à un isolement croissant.
Enfin, c’est une affaire immobilière à l’étranger qui aurait mis le feu aux poudres. « Elle s’est aggravée à la suite d’une demande d’explication formulée par le ministre d’État concernant l’acquisition, à l’étranger, d’un bien immobilier par le procureur général près la Cour de cassation. Ce dernier lui aurait à plusieurs reprises proféré des menaces d’arrestation. » Un bras de fer personnel qui reflète une fracture plus large au sommet de l’appareil judiciaire.
Pour le président de la Commission spéciale, le dossier est épineux et appelle à une lecture nuancée. « Il s’agit d’un ensemble d’antécédents qu’il convient de prendre en compte dans l’examen des réquisitoires. » En somme, l’Assemblée nationale est appelée non seulement à évaluer les faits, mais aussi à naviguer dans un climat institutionnel où l’équilibre des pouvoirs semble plus que jamais remis en question.
B.A